Samedi 28 novembre, tous les commerces et services à la personne ont été autorisés à rouvrir jusqu’à 21 heures. Y compris les salons de coiffure. 184 000 actifs sont retournés à leurs ciseaux. L’occasion pour moi de me rendre dans le salon que je fréquente depuis plusieurs années à Cavalaire.

Le rendez-vous est fixé dès le jour de la réouverture. Il ne faut pas perdre de temps, les places sont convoitées. Pourquoi donc me précipiter chez le coiffeur ? Pas de cheveux gris à dissimuler derrière une coloration. Ma crinière (surnom donné à ma chevelure par mes camarades de classe chaque année) ne m’arrive pas non plus aux genoux. Et les tant attendues fêtes de Noël ne sont pas pour tout de suite. J’ai seulement besoin de changement. Une nouvelle ère s’ouvre après ce mois de confinement et j’ai envie de marquer le coup.

Cavalaire s’en vante sur ses panneaux publicitaires : cette station balnéaire bénéficie de plus de 120 jours d’ensoleillement par an. Mais aujourd’hui, bien évidemment, il pleut. Dans le salon décoré de multiples flocons, on s’active. Dans les mains des deux coiffeuses, les séchoirs chantent, les cheveux tourbillonnent. On peigne, on frise, on lisse, on laque. On ne s’arrête pas. Le salon ne ferme plus que le lundi. Je m’installe au fond pour attendre mon tour. Je sors quelques fiches de révision. Fiches, comme vous pouvez vous en douter, que je ne parcours pas une seule seconde. Je préfère porter mon attention sur ce qui se passe autour de moi. J’en avais presque oublié l’existence, autre que virtuelle, de mes semblables. Quel plaisir d’entendre et de participer à ces discussions pourtant très anodines, me direz-vous. Mais qui font du bien. Les conversations portent sur l’activité réduite des stations de ski, les fêtes de fin d’année, les enfants et petits-enfants. En grande indécise, je ne sais toujours pas quelle nouvelle expérience capillaire je vais faire subir à ma chevelure. Alors je tente de m’inspirer des autres clientes, je les observe discrètement.

Vient mon tour. Tout en me posant des questions sur mes études, Ophélie applique la coloration sur une mèche puis une autre, avec patience, concentration et précision. On en vient finalement à évoquer le deuxième confinement. « Pas le choix, on subit » me confie-t-elle, toujours avec le sourire. Elle n’a pas enfreint les règles : pas de déplacements chez les habitués pour une prestation à domicile. « Sinon autant ouvrir le salon et ne faire entrer qu’un client à la fois » ! Je ressemble désormais à un véritable sapin de Noël dans son filet, les cheveux vêtus de bribes de cellophane, la blouse en plastique sur le dos. Les minutes s’écoulent, c’est l’heure du rinçage. Un moment que j’affectionne tout particulièrement, lorsque le contour du lavabo ne me scie pas la nuque. Au « Salon », ce n’est absolument pas le cas. L’air jazzy du traditionnel « I’ll see you in my dreams » repris par Diana Krall, le siège massant et les doigts de fée de ma coiffeuse me bercent ; mes pensées s’égarent. « On va s’installer sur le siège juste en face ». La douce voix d’Ophélie semble venir de très loin.

Le salon se vide. Il est 18 heures passées. Je lance un dernier adieu à mes longueurs puis le bruit sec des ciseaux commence à se faire entendre. Elles seront bientôt récupérées et transformées en boudins pour lutter contre la pollution du port, m’informent les coiffeuses. Je ne peux m’empêcher de penser aux traditionnelles blouses en tissu des salons. Elles ont été remplacées cette année par des toiles en plastique qui finiront à la poubelle après un seul usage. Mais pas d’autres solutions. Encore quelques corrections, un coup de spray fixant et d’huile : le tour est joué. Je vais pouvoir me découvrir. Myopie oblige, je replace enfin mes lunettes sur le bout du nez. Je suis ravie, comme toujours. La coupe me rappelle celles des actrices des années 50.

En rentrant, j’appelle mon oncle, pleinement satisfait d’avoir pu retrouver le chemin du travail. Il a ouvert son salon en 1992 à Malaucène, dans le Vaucluse. J’ai envie de savoir comment s’est passée la reprise de son côté. « Je ne travaille pas le dimanche et le lundi. Je n’ai plus 20 ans » ! Avec des journées de 10 heures, soit 50 heures hebdomadaires, cette première semaine de réouverture est éprouvante. Son agenda est complet jusqu’à jeudi prochain et les rendez-vous pour Noël se multiplient. L’organisation se complique avec une jauge de quatre clients. Beaucoup d’entre eux sont des habitués. Il constate qu’il coiffe moins de retraités qu’à l’accoutumée. Mais plus de jeunes, collégiens ou lycéens, qui suivent leurs cours en présentiel et des professionnels en activité. « Je pense que nos anciens évitent de sortir, probablement par crainte ». Il est toujours dans l’attente des aides de l’Etat : « ils promettent mais pour l’instant nous n’en avons pas vu la couleur ». Ses employés n’ont pas travaillé durant trois mois, sans que l’employeur puisse exiger que cette nouvelle absence soit assimilée à une période de congés. « Je ne trouve pas ça logique » me confie-t-il. Il n’a pas utilisé les fonds du prêt de l’Etat proposé au printemps, malgré les difficultés économiques. En espérant que ces lieux de bien-être et de valorisation de l’image de soi trouvent le soutien financier qu’ils méritent.

Elisa Hemery