« Je ne donnerai jamais de leçon à nos jeunes ». Assis dans mon appartement universitaire d’Aix-en-Provence, face à mon écran, je reste interloqué. Dictée avec toute l’assurance dont peut disposer un président de la République, cette petite phrase, noyée dans un échange fleuve de 45 minutes avec les journalistes de TF1 et France 2, sonne faux dans mon oreille. Et squatter les restaurants, ouverts jusqu’à samedi minuit, m’apparaît une bien maigre consolation. Surtout  lorsque l’actualité internationale me rappelle que dans certains pays non loin d’ici, des jeunes de mon âge voire plus jeunes encore sont obligés de prendre les armes pour défendre chèrement leur liberté. Alors, Monsieur le Président, est-ce vraiment si dur d’avoir 20 ans en 2020 ?

« Être jeune, c’est faire la fête, avoir des amis. » Dans mon emploi du temps relativement chargé en semaine, mes heures « de jeune », que j’offre pleinement à mes amis et où je fais la fête, se déroulent généralement le soir. Comment, donc, ne pas me sentir directement visé par la décision du gouvernement d’instaurer un couvre feu à 21 heures au sein de la métropole Aix-Marseille ?

Après avoir connu le confinement, puis le relâchement estival, on a estimé au sommet de l’Etat que nous, les jeunes et les noctambules, étions donc la plaque tournante de ce virus. C’est en tout cas une vision qui semble partagée en Europe. L’Allemagne, réputée pour sa gestion depuis le début de la crise, a pris, quelques jours avant la France, la décision d’imposer un couvre-feu de 23h à 6h à Berlin. Pourtant, le fait que le pays recense quatre fois moins de cas que l’Hexagone depuis 15 jours.

Pour autant, sans concertation aucune, les établissements du Vieux-Port et alentours affichent complet ce vendredi soir. Élan de solidarité spontané, « enterrement de vie de jeunes » ou autre ? Qu’importe, j’en fais partie. Même pliés en quatre pour répondre aux nouvelles normes de sécurité, le personnel des établissements du quartier s’affaire pour satisfaire la clientèle. Avant un nouveau trou dans les caisses. « Nous n’avons pas encore décidé ce que nous allons faire dans les prochains jours », confie un patron de restaurant. « Avec ce couvre-feu de 21h, je ne sais pas comment ré-instaurer la vente à emporter comme pendant le confinement ». Pourtant idéalement situés sur le Vieux-Port, ces établissements ne pourront pas profiter des températures clémentes et des vacances de la Toussaint pour se refaire une santé.

Vingt minutes avant l’heure officielle de fermeture, le restaurateur, prévenant, me raccompagne jusqu’à la sortie afin de se conformer au nouveau couvre-feu en vigueur. Face à l’inconnu et l’incertitude, certains tentent de jouer les prolongations. Ainsi j’ai rapidement vu fleurir quelques messages sur les réseaux sociaux proposant une ultime soirée dans certains établissements des rues adjacentes. Mais même pas le temps de prendre des renseignements qu’on m’informe que la police, est déjà présente sur place. Tout le monde est rapidement renvoyé à la maison. Je fais de même, tout en me remémorant ces petits mots. En effet, Monsieur le Président, vous ne donnez jamais de leçons à vos jeunes.

Léo Khozian