Exceptionnellement l’équipe de détenus de radio Baumettes, a eu le droit de s’éloigner de la maison d’arrêt pour enregistrer une émission spéciale. Plusieurs invités de marque dont l’auteur Didier Fassin sont intervenus le vendredi 11 octobre. 

71828 : le nombre de personnes incarcérées en France au 1er avril 2019. Un record. Certaines études démontrent que le petit banditisme stagne et que la grosse criminalité régresse. Pourtant, la population carcérale, elle, ne cesse d’augmenter. Un paradoxe au centre du problème carcéral en France. Un problème évoqué lors de l’édition spéciale de Radio Baumettes effectuée vendredi 11 octobre à Marseille.

Didier Fassin, auteur de « L’ombre du monde, une anthropologie de la condition carcérale », est le premier à prendre la parole. Il a rédigé son ouvrage après 4 ans d’immersion au sein de la maison d’arrêt des Baumettes. Il explique que la politique pénale cible toujours le même type de population, ce qui créé de facto des inégalités. L’augmentation de la population carcérale serait liée à certains délits et donc à un certain type de population. Ainsi, les condamnations pour usage de stupéfiants ont été multipliées par trois en 10 ans quand, dans le même temps, le nombre de condamnations pour des délits économiques et financiers a largement reculé. L’anthropologue estime que le ciblage des forces de l’ordre en matière de stupéfiants est particulièrement centré sur les quartiers populaires. Une inégalité de traitement que l’on retrouve ensuite derrière les barreaux.

Selon Didier Fassin, la recrudescence des comparutions immédiates accentue ce phénomène. En effet, ce mécanisme de droit ne peut être activé que pour des petits délits. Il estime que ces derniers touchent plus largement les personnes défavorisées. La comparution immédiate entraîne un délai largement raccourci pour préparer la défense. Par conséquent, les peines dans ces cas-là, se révèlent généralement plus lourdes, « à délits équivalents, la comparution immédiate entraîne des sanctions deux fois plus sévères en moyenne ». Cela crée une « forme de justice de classes ».

Dans le même esprit, des tendances se dégagent au sein de la population incarcérée : environ 50% de personnes sans emploi (chiffre bien supérieur à la moyenne nationale de 10%) et près de 75% appartenant à des minorités. L’auteur est formel, minorités et pauvres sont davantage punis.

La hausse des incarcérations pour des délits mineurs possède un autre effet pervers. Effectivement, l’enfermement produit à court terme une désocialisation importante, à moyen et long terme un risque de récidive après la sortie. Ainsi, « davantage de prison pour délits mineurs signifie plus d’insécurité et d’inégalité » selon la logique de Didier Fassin.

Ces constats s’expliquent en partie lorsque l’on analyse de plus près les conditions de détention. En toute connaissance de cause, les détenus se voient privés non seulement de liberté mais aussi d’intimité, de vie affective et sexuelle, d’autonomie et de liberté d’expression. Chaque détenu vit cela à sa façon : « je veux bien qu’on nous prive de liberté mais pas de dignité », « l’attente, toujours l’attente, le pire c’est l’attente ». Des efforts sont effectués pour tenter de réduire la violence en milieu carcéral, mieux accompagner les détenus pendant et après le passage en prison. Toutefois, selon la directrice de l’OIP (observatoire international des prisons), Cécile Marcel, la marge de progression en la matière reste immense. D’autant que, selon elle, la prison engendre des « rapports de force qui se règlent par la violence ». A méditer…

Maxence GEVIN