Mercredi 13 octobre,  Emmanuel Macron annonce la mise en place d’un couvre-feu dans plusieurs villes françaises –dont la métropole Aix-Marseille. Pas de retour à la normale pour les restaurateurs, les barmen, les cinéphiles… ou les étudiants. A ce sujet, qu’en pensent les professeurs ? Alexis Bugada enseigne le droit social à la faculté d’Aix-Marseille. Vianney Marie-Joseph est chargé de TD en droit du contentieux administratif. Tous deux témoignent.

              Depuis mars dernier un protocole de distanciation sociale a été mis en place. Impossible alors d’enseigner de manière traditionnelle à la fac… il a fallu s’adapter, et beaucoup ont opté pour des cours via la plateforme zoom. Pensez-vous que cette solution soit efficace ?

A. Bugada: Les cours en ligne ne se substituent, à mon avis, qu’imparfaitement au cours en présentiel. Ils se veulent « vivant », dans l’instant présent avec l’auditoire. Via zoom, le flux de parole est affecté, le paralangage également… Alors le cours s’allège sans qu’on n’ait la certitude, faute de public immédiat, que le message passe bien. Cependant, ces nouvelles pratiques possèdent des effets positifs : par exemple, le « chat » en direct permet de mieux échanger qu’en amphi ; la timidité retenant souvent les étudiants. J’ai aussi choisi de solliciter des notes de cours, que je relis, corrige et agrémente. Cela me permet de voir comment les étudiants réceptionnent mon cours, ce qu’ils en comprennent, mais aussi les moments où j’ai manqué de clarté.

V. Marie-Joseph: la communication change de manière assez étrange : le virtuel conduit à un certain formalisme qui crée de la distance entre les chargés de TD et les étudiants, alors même que traditionnellement les rapports étaient plus étroits. Nous semblons normalement, d’après mon expérience, plus accessibles aux étudiants. Je trouve à ce titre que l’enseignement en distanciel conduit à une certaine fracture d’une relation profitable à l’étudiant comme au chargé de TD.

              Bien des étudiants reconnaissent qu’il est difficile pour eux de suivre les cours à distance. Qu’en est-il de vous ? A quelles difficultés vous confrontez-vous ?

A. Bugada: Pour ma part, les connexions ont parfois posé problème. Les téléchargements, de même, sont hasardeux et nécessitent des manipulations laborieuses : le téléchargement de mon cours audio du jeudi mobilise mon ordinateur une partie de la nuit ! Sur le plan pédagogique, je ne crois pas que passer autant de temps sur un écran pour « apprendre » soit une bonne chose, d’autant que l’interaction avec les camarades est également essentielle. Vivre en société, ce n’est pas vivre dans sa bulle numérique. Oui, les cours traditionnels me manquent, mais je me dis que c’est le moment ou jamais d’innover.

V. Marie-Joseph: Je suis en permanence dans l’angoisse qu’un problème technique survienne et qu’il porte atteinte à la qualité des TD que je dispense. J’essaie vraiment de me mettre à la place des étudiants pour que la séance reste pédagogique et instructive. Je dicte moins, puisqu’il est plus difficile de juger si le rythme est bon ou non. Le but est aussi de rendre le cours plus interactif, afin de pallier au manque de contact. Les cours en présentiel me manquent donc terriblement. 

            Est-ce, selon vous, un sacrifice nécessaire ? Etes-vous soulagés de ne pas avoir à vous rendre à la fac, ou plutôt inquiet pour vos élèves ?

A. Bugada: Je m’inquiète surtout pour mes élèves et leurs familles. Si les rentrées universitaires compriment l’espace dans les amphis, la densité baisse généralement à compter du mois de novembre. On aurait pu imaginer plus de présentiel en refaisant les maquettes, en mixant l’usage du numérique et des cours traditionnels dès septembre. Cela semble encore trop complexe sur le plan organisationnel. Enfin… L’essentiel c’est d’apprendre !

V. Marie-Joseph: Soulagé, je ne pense pas. Je fais partie de ceux qui préfèrent prendre un risque pour avoir la possibilité d’assurer leurs TD en présentiel. Dans tous les cas j’accepte et je comprends la décision prise par les instances dirigeantes de l’université. Je suis néanmoins inquiet pour mes étudiants. C’est une peur partagée : je crains de ne pas pouvoir répondre à leurs attentes et de ne pas offrir le meilleur de moi-même.

            Au vu de la dernière intervention d’Emmanuel Macron, comment envisagez-vous la suite de l’année universitaire?

A. Bugada : Il faudra continuer à nous adapter. Je crois que la configuration actuelle va durer au moins jusqu’à juin. Il nous faut donc tenir bon et progresser dans l’usage des outils numériques, même si cela implique de repousser nos limites. Quant au couvre-feu, les conséquences sont limitées. Après tout, en France, il y a très peu de cours nocturnes. Il est fréquent qu’à 21h, je sois déjà chez moi en train de préparer mes cours ou réaliser mes recherches… quant aux étudiants, ils sont censés travailler leurs cours et TD. Enfin, je crois…

V. Marie-Joseph: De manière générale, l’évolution de la situation ne me permet pas d’être optimiste. Je m’attends, très personnellement, à ce que l’enseignement en distanciel soit maintenu jusqu’à la fin du semestre pour deux principales raisons : l’aversion au risque qui est aujourd’hui assez forte, que ce soit dans le cadre universitaire ou dans notre société en général ; et parce qu’il semble assez plausible qu’étant donné l’investissement de l’université dans l’aménagement de l’enseignement à distance, la « haute sphère » fasse son possible pour rentabiliser cet investissement. Mais ne broyons pas du noir inutilement, laissons l’avenir apporter la réponse à cette question brûlante.

Lucie Hugonenc