Réalisé par le Mauritanien Abderrahmane Sissako, Timbuktu obtient sept récompenses sur huit nominations à la cérémonie des Césars. Sorti le 10 décembre 2014, ce film a déjà suscité un grand intérêt auprès du public français. Mais cette multitude de récompenses engendre un engouement nouveau.

A Aix-en-Provence, Timbuktu est toujours projeté au cinéma Le Renoir. « Depuis la cérémonie, la salle ne désemplit pas. Pour les séances les plus convoitées nous sommes régulièrement obligés de refuser du monde », nous confie une hôtesse d’accueil. Dimanche 18h, la file s’étend jusqu’à l’angle de la rue J. Cabassol. Plusieurs groupes de personnes font demi-tour, découragés par la foule. 98 minutes plus tard le film se termine. Le générique de fin défile, mais personne ne bouge.

Lorsque le public se décide enfin à sortir de la salle les langues se délient. Chacun veut exposer son point de vue, répondre aux critiques ou faire part de ses questionnements.

Marie, institutrice de 35 ans, approuve la vision du réalisateur. « Pour évoquer des faits aussi violents, tant physiquement que moralement je ne pense pas qu’il soit nécessaire de montrer des images choquantes ». Sissako cite en effet Dostoïevski pour justifier ses choix « la beauté est souvent considérée comme quelque chose de superficiel, de décoratif. La beauté, c’est la distance nécessaire quand on évoque la violence». Pour Laura étudiante en droit, ce film est surprenant : « il parle de la terreur imposé par la police islamique, des violences subies mais il n’y a qu’une scène réellement choquante, celle de la lapidation. »

Au delà du contexte politique ce film est un « chef d’œuvre esthétique » pour Guillaume étudiant en art du spectacle. « Je suis marqué par un moment qui peut sembler sans importance : la mort de la vache. Sur le concept, un pêcheur tuant une vache, ça peut paraître totalement banal. Mais la façon dont le réalisateur choisit de la mettre en scène me donne des frissons. Pour moi c’est la marque du génie ».

Quant à la controverse concernant les connivences entre Sissako et le chef d’État mauritanien, la plupart des spectateurs aixois de la soirée ne s’y intéressent pas. Rien n’est tout blanc, ni tout noir, et pour un groupe de sexagénaire présent « après les attentats commis en région parisienne, nous avons envie de savoir ce qui se passe dans les pays comme la Mauritanie ou le Mali. Ce film est une fenêtre ouverte sur l’islam fascisant ».

Durant la cérémonie des Oscars le réalisateur a d’ailleurs déclaré : « La France est un pays magnifique. Elle est capable de se dresser contre l’horreur, contre la violence et l’obscurantisme. » Quand on interroge la bande de jeune réunis pour cette projection, l’œuvre est dans la continuité de la mobilisation aixoise, et le nombre de personnes encore présentes à chaque séance montre que rien n’est oublié.

Cécile Allegre