Le 9 novembre un étudiant lyonnais s’est immolé par le feu devant le Crous de l’université Lyon II pour dénoncer la précarité dans laquelle il vivait. Une vague de contestation et de nombreuses manifestations ont suivis. Dans ce contexte, nous sommes allés à la rencontre de trois étudiants d’Aix-en-Provence. Ils ont décidé de se confier sur leur situation pour dénoncer, à leur manière, la précarité.

A Paris, Lyon ou Lille, des centaines de jeunes se sont mobilisés pour protester contre les difficultés financières et réclamer une revalorisation des bourses. En effet, le constat est accablant. Selon le dernier rapport de la FAGE, un cinquième d’entre eux vit sous le seuil de pauvreté notamment en raison de la hausse des frais de vie courante. Entre 2018 et 2019, ces frais ont bondi de 2,73%. Les loyers explosent dans plusieurs villes, en sachant que 70% des dépenses sont dédiées au logement. Même si environ 40% des étudiants perçoivent au moins une aide financière directe, beaucoup n’arrivent pas à s’en sortir. Face à des prix de plus en plus exorbitants, 46% d’entre eux se doivent de cumuler étude et petit boulot pour survivre. Cependant, 19% de ces travailleurs estiment que leur job concurrences leurs études. Ainsi, le malaise de cette minorité silencieuse éclate au grand jour depuis une semaine.

Stessy, le cercle vicieux de la précarité

Stessy étudie les langues à Aix-en-Provence. Boursière, elle touche 100€ par mois pour vivre. Une aide insuffisante, qui la force à cumuler deux emplois pour joindre les deux bouts. Boulots ingrats, horaires décalés, de 12h à 30h par semaine, la fatigue s’accumule. L’étudiante décrit un véritable cercle vicieux : « Levée à 4h, couchée parfois vers minuit, je ne compte plus le nombre de fois où j’ai raté des cours car je tombais de fatigue. L’année dernière le Crous m’a alors retiré la bourse pour manque d’assiduité. » En difficulté financière, elle a été contrainte d’arrêter ses études pour s’en sortir. Plus motivée que jamais, elle retourne sur les bancs de la faculté en septembre dernier. En plus de se voir refuser une nouvelle bourse, une très mauvaise surprise l’assomme « Il y a quelques semaines, j’ai reçu un courrier me demandant de rembourser l’intégralité de ma bourse de l’année dernière : une somme de 650€. Je ne sais même pas comment je vais faire pour payer ». Contrainte de travailler pour étudier, c’est précisément son travail qui l’empêche d’étudier. Résultat, elle perd le bénéfice de la bourse : « un véritable problème systémique ». Pour l’étudiante, le combat est quotidien.

Aurélie*, une précarité difficile en tant que femme

A 23 ans, Aurélie entame sa sixième année d’étude. Tout comme Stessy, elle cumule études et boulots. Passée par Lyon, elle logeait dans la résidence universitaire Jean-Mermoz, la même que celle de l’étudiant qui s’est immolé. Elle dépeint une insalubrité omniprésente et une insécurité palpable, notamment pour les jeunes femmes : « On partage les toilettes et les douches pleines de crasse avec 50 personnes. La moitié des équipements ne fonctionne pas. Plusieurs filles ont été observées par-dessus les douches par des hommes mal intentionnés. Ce n’est vraiment pas un environnement pour étudier ». Elle avoue également qu’elle a plusieurs fois renoncé à consulter par manque de moyens : « J’évite le médecin, j’essaie de me soigner seule ». Concernant le suivi  gynécologique, le parcours est semé d’embûches pour les jeunes femmes : « Je dois aller à Marseille pour me rendre chez le gynécologue. Je vais au planning familial car au moins c’est gratuit, ça serait impossible pour moi autrement. Malheureusement, il n’y en a pas à Aix-en-Provence…».

Loan, l’entrée dans la vie adulte, une « véritable claque »

Ce jeune homme de 20 ans ne s’attendait pas à ce que sa vie étudiante se déroule ainsi. Pressé de devenir un adulte, la réalité est bien différente. Entre ses jobs dans la restauration, sa difficulté à gérer son argent et son incompréhension face à l’administration française, Loan s’est pris une « véritable claque en pleine figure ».  « Le fait de travailler et de devoir gérer ses factures a fait peser sur moi une charge de stress inouïe ». La solitude a également pesé dans la balance : « Je me suis senti très seul. J’étais totalement livré à moi-même, je devais gérer les factures, la faculté, mon boulot ».  A à peine 19 ans, l’étudiant hypersensible fait un burn-out sur son lieu de travail. « C’était trop pour moi ! ». Aujourd’hui, du haut de ses 20 ans, il dit aller mieux et avoir pris du recul : « J’ai fait un gros travail psychologique. Cela m’a poussé à grandir et à mûrir plus vite. Je n’avais pas le choix. Pour s’en sortir, il faut être accompagné et soutenu, ce qui n’est pas forcément le cas de tout le monde…».

*le prénom a été modifié

Iris Bronner