Armée d’un drapeau et de tracts, Karel Peux traverse le parvis de la Faculté de lettres d’Aix-en-Provence d’un pas déterminé. Aujourd’hui, direction le centre-ville pour manifester contre la réforme du travail. Karel n’en est pas à son coup d’essai : « Je me bats depuis le début de l’annonce de cette réforme. Il ne faut rien lâcher, sinon, on perd nos droits. »

Cette étudiante de 19 ans, d’origines malgache, comoréenne et martiniquaise, suit des cours de langues étrangères appliquées en anglais et portugais. Mais elle ne fait pas qu’étudier. Cette année, elle a décidé de se syndicaliser pour la toute première fois à l’UNEF. Élément déclencheur de cette adhésion : la loi El Khomri. « C’est plutôt la loi El Konnerie ! » lance-t-elle. « L’ensemble de cette réforme va gâcher la vie des salariés mais aussi des syndicats. Nous devons faire entendre notre voix. Nous ne sommes pas des ignorants. » D’un ton ferme et décidé, elle ajoute « on ne veut pas vivre pour travailler, mais travailler pour vivre ».

D’un naturel anxieux, Karel a quitté Troyes à 17 ans pour effectuer ses études à Aix-en-Provence. « Il faut s’investir et s’organiser pour aller à l’université » La jeune femme touche une bourse, mais refuse d’être considérée comme une assistée : « Je me bats pour protéger mes droits. Nos droits. Il faut arrêter de dire que les étudiants ne s’investissent pas et ne sont inscrits à la faculté que pour la bourse. C’est faux. Certains le font, c’est vrai, mais nombreux sont ceux qui sont là pour réussir et entrer par la suite dans la vie active. »

Karel est une battante, mais elle a surtout le cœur sur la main. Si elle s’est engagée contre la réforme de la loi du travail, ce n’est pas pour elle. « Ma mère est travailleuse non qualifiée. Elle a lutté durant des années pour trouver un travail stable, en vain. » Le ton de l’étudiante se fait plus intimiste, ses yeux commencent à se remplir de larmes, mais elle poursuit. « Ma mère se bat alors que son travail n’est pas récompensé. Elle a renouvelé son CDD pour deux ans, mais n’a toujours pas de CDI. Si je me bats, c’est en grande partie pour elle. Moi, je souhaite me diriger vers l’informatique, et je pense que je n’aurai aucun souci à trouver du travail. »

Karel reçoit un appel sur son téléphone portable : « Ils sont à la mairie. Il y a l’air d’y avoir du bruit ! » Regonflée à bloc, la jeune femme croise un groupe d’enfants prêts à prendre le bus : « Il faudrait les syndicaliser dès le plus jeune âge pour leur faire prendre conscience de leurs droits, et éveiller leur conscience ! » plaisante-t-elle. Il est clair que l’UNEF prend une place prépondérante dans sa vie.

Arrivée à la mairie, le constat est amer : seule une quarantaine de personnes sont présentes. Déçue, la jeune femme peine à s’exprimer. « Les jeunes ne prennent pas conscience qu’ils vont passer leur vie à étudier et ne vont rien gagner. C’est énervant et frustrant à la fois. »

Après la déception, vient la colère. « Ce n’est pas comme ça qu’on fera avancer les choses ! Il faut bloquer des axes stratégiques comme la Rotonde ou bien le Pont de l’Arc ! ». Le regard fuyant, Karel s’éloigne un peu pour discuter avec d’autres manifestants. Lorsqu’elle revient, elle est plus déterminée que jamais : « Beaucoup sont partis sur Marseille pour faire plus de bruit. Je pensais qu’il serait bon de manifester sur Aix aussi. Je ne désespère pas et je continuerai à me battre pour mes pairs. » Et d’ajouter avant de repartir, « seul on va plus vite, mais ensemble on va plus loin ».

Manon Badard