Jeudi 10 novembre, Ivan Jablonka s’est rendu à la Librairie de Provence pour y donner une conférence sur son dernier livre, Laëtitia ou la fin des hommes. L’historien a reçu pour cet ouvrage le prix Médicis ainsi que le prix littéraire du Monde.

Il est 18h30 quand la conférence débute au 1er étage de la Librairie de Provence. On peut voir par les fenêtres que la nuit est déjà tombée sur le Cours Mirabeau. Face à une quinzaine de personnes, Ivan Jablonka revient sur l’enquête qu’il a menée pendant deux ans : pourquoi a-t-il choisi d’écrire un livre sur le « fait divers Laëtitia », jeune fille de 18 ans étranglée en 2011 sous la présidence Sarkozy ? Comment a-t-il mené ses recherches ? Quelles ont été ses motivations ?

« Je voulais que Laëtitia compte pour sa vie, et non pas pour sa mort »

La voix est posée mais le regard est lointain. Avec sa veste de costume et ses cheveux gris coupés court, Ivan Jablonka ressemble au professeur d’Histoire traditionnel. Pourtant, sa démarche est tout sauf banale. Aux yeux du monde, Laëtitia n’a existé qu’en tant que victime. Les dizaines d’articles à son sujet ont fait de sa mort l’héroïne du récit. Mais Laëtitia a eu une vie avant de mourir. « Moins que le compte-rendu du fait divers, j’ai fait le récit de la vie de la disparue », explique l’historien.
Une approche peu commune, comme un cadeau délivré aux proches de l’absente. Ivan Jablonka est bien placé pour connaître l’effet d’une telle démarche sur l’entourage des disparus. En 2012, il a publié l’ouvrage Histoire des grands-parents que je n’ai pas eus, où il retrace la mort de ses grands-parents déportés pendant la 2nde Guerre Mondiale. « Ces deux ouvrages ont la même ossature, et le même but assumé », admet sans difficulté l’auteur.

« Jablonka, c’est la réponse au populisme du moment »

Dans l’auditoire, une lectrice fait part de cette réflexion à Ivan Jablonka. Souriant et visiblement reconnaissant, il répond que, selon lui, le populisme se nourrit de l’ignorance et du désintérêt général. C’est aussi pour cela qu’il a mené cette enquête : pour informer. A travers le parcours de Laëtitia, il veut dépeindre la société française du XXIème siècle, ses qualités et ses travers.
En racontant la vie de la jeune fille, il expose les inégalités sociales auxquelles elle a été confrontée. « Elle a eu une vie à la fois tragique, heureuse et banale. Témoin du viol de sa mère puis de sa sœur (…) elle a connu l’assistance sociale et les familles d’accueil », précise l’historien.
Lorsque cette vie ponctuée par la violence s’est achevée, son histoire a entraîné un engouement médiatique sans précédent. Sa mort a révélé les défauts de la justice et de la politique. Elle a précipité les magistrats dans les rues pour manifester. Historien du présent, Ivan Jablonka explique à travers cet ouvrage comment le fait divers est devenu affaire d’Etat.

Laëtitia ou la fin des hommes, pour se souvenir de la jeune fille, pour comprendre son parcours difficile dans la France du XXIème siècle et pour appréhender les bouleversements qu’a entraîné sa mort.

Léa Cesses